En ces temps de confinement, élèves comme parents accumulent une anxiété normale devant le bouleversement de leur quotidien, dans lequel l'école (en tant que lieu réel mais aussi en tant que dispensatrice de savoir et facilitatrice d'échanges sociaux) occupe habituellement une place prépondérante. Les élèves sont tristes d'être séparés de leurs amis, et souvent déstabilisés par la perte de leurs habitudes et de leurs repères qui structurent leur journée en temps normal. Les parents découvrent leurs enfants sous un nouveau jour et se trouvent dans l'obligation de tenir un rôle qui ne leur est pas toujours familier, celui de médiateur entre un jeune apprenant et le savoir disciplinaire.
Face à cela, la classe virtuelle s'est imposée très vite comme une sorte de remède miracle. Par son nom trompeur, en premier lieu, elle donne le sentiment d'être une réelle alternative à la classe, de la remplacer et laisse penser que finalement, ce qu'on y fait pourrait plus ou moins équivaloir à ce qui se passe dans une "vraie classe". Elle est demandée par les élèves, parfois simplement pour le plaisir de se sentir à nouveau (l'espace d'un instant et virtuellement) comme faisant groupe, avec leurs camarades et leur professeur dans un espace dédié, ce qui peut révéler un attachement parfois sous-estimé des enfants à cet espace physique qu'est la salle de classe d'ordinaire.
Les rectorats s'empressent de relayer la pensée ministérielle et demandent aux chefs d'établissement de comptabiliser les enseignants qui pratiquent la classe virtuelle, voire même de les inciter à en tenir pour chaque classe et chaque discipline au moins une fois par semaine. Seulement voilà, derrière ces aspects lénifiants la réalité des classes virtuelles est tout autre.
Une fracture numérique passée sous silence
Le ministère l'évoque à peine, presque discrètement : 8% des élèves ont perdu tout lien avec l'école, faute de possibilité technique de connexion à distance depuis le début du confinement. 8%; cela parait peu, un chiffre presque acceptable. Pourtant 8%, c'est près d'un million d'enfants sur tout le territoire. Ce sont des territoires entiers de France qui n'ont pas d'accès à internet, des zones rurales, blanches ou de bas débit qui ne permettent même pas d'envisager une classe virtuelle.
Mais ce chiffre en cache un autre, bien plus difficile à évaluer : celui de millions d'autres élèves qui, s'ils disposent bien d'un moyen technique de connexion, ne peuvent en user suffisamment librement pour que l'idée de continuité pédagogique puisse faire sens via une classe virtuelle. Ce sont souvent des familles qui ne disposent que d'un seul ordinateur pour plusieurs enfants qui doivent se partager un temps de connexion limité, qu'il faut même parfois encore partager avec le ou les parents en télétravail. Parfois encore, il n'y a pas d'ordinateur dans le foyer mais seulement une tablette ou un téléphone portable compatible avec des appels visioconférencés pour trois ou quatre personnes, avec un forfait limité. Pour ces élèves-là, l'idée de classe virtuelle est un mirage encore bien lointain...
La classe virtuelle n'est pas une classe
Une évidence que le ministère semble pourtant seulement découvrir : une classe virtuelle n'est pas une classe, mais un moyen de communication avec quelques options techniques qui permettent certains types spécifiques d'interactions et d'activités pédagogiques avec les élèves, au détriment de nombreuses autres réalisables en classe réelle uniquement. Elle n'est pas la panacée et doit s'accompagner inévitablement d'autres supports et applications pour être efficace : des espaces de partage et d'échange de documents en ligne (notamment les plus volumineux), des espaces d'évaluation en ligne (comme ce que permet parfois Pronote par exemple). Elle ne peut pas toujours s'émanciper d'échanges papier (qui restent même la règle à l'heure actuelle dans de nombreux établissements qui demandent aux parents malgré le confinement de venir récupérer régulièrement des documents imprimés dans l'établissement scolarisant leurs enfants).
LE SNCL demande au ministère de cesser d'entretenir le mythe de la continuité pédagogique et de la classe virtuelle, qui laisse croire aux familles que le travail (même remarquable) réalisé à l'heure actuelle par les enseignants pourrait équivaloir à un enseignement présentiel. Le SNCL estime préférable d'assumer dès à présent le retard indiscutablement pris par les enseignements durant la période de confinement afin d'y remédier de façon proportionnée et raisonnée une fois la crise sanitaire passée. Relativiser ces pertes d'enseignement et refuser de mobiliser les moyens nécessaires à leur juste compensation demain, revient à faire aujourd'hui des économies sur le dos des élèves (et notamment sur ceux les plus fragilisés dans leur apprentissage) comme sur la qualité de l'instruction qui leur est due à tous.
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