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Lutte anti-harcèlement : électrochoc ou effet d'annonce ?

Lutte anti-harcèlement : électrochoc ou effet d'annonce ? - SNCL

Trop d'évènements tragiques sont encore survenus cette année, amenant le gouvernement à élaborer un plan interministériel de lutte contre le harcèlement dévoilé fin septembre. Quel bilan en tirer ? 

Cette année encore, les drames de collégiens mettant fin à leurs jours car ils étaient victimes de harcèlement se sont multipliés : Lucas, 13 ans, le 7 janvier 2023. Lindsay, 13 ans, le 12 mai 2023. Nicolas, 15 ans, le 5 septembre 2023. Ces évènements tragiques ont amené le gouvernement à ériger la lutte contre le harcèlement comme une « priorité nationale », selon les mots de la Première ministre.

Cette annonce est assurément la bienvenue car il s’agit bel et bien d’un problème de fond : d’après les dernières études de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), près d’un million d’enfants vivent une situation de harcèlement à l’école, soit environ un élève sur dix. Un collégien sur cinq a été victime d’au moins un acte de cyberviolence de façon répétée. Enfin, cette violence continue conduit à des fins tragiques avec une hausse de + 300 % de tentatives de suicide chez les jeunes de moins de 15 ans au cours des dix dernières années.

Le dernier drame a également mis en lumière une gestion du harcèlement par le rectorat de Versailles très « problématique », des aveux même du ministre de l’Education nationale, avec une centaine de courriers de réprobations envoyés aux familles d’enfants harcelés. Le ton employé par la rectrice était en inadéquation totale avec les situations rapportées, pour ne pas dire inhumain. Le nouveau ministre a alors promis un « électrochoc » et l’arrivée d’un plan interministériel contre le harcèlement dévoilé fin septembre.

Celui-ci s’inscrit dans le cadre du programme pHARe (programme de prévention et de lutte contre le Harcèlement) obligatoire dans les écoles et collèges publics depuis 2022. Programme aux ambitions louables, mais qui manque à l’heure actuelle des moyens correspondants, et reste malheureusement une vue de l’esprit dans de trop nombreux établissements. Le plan interministériel est pourtant censé le renforcer grâce à quelques nouveautés. Voyons ce qui est proposé réellement :

  - La création d’une « cellule dédiée au harcèlement » dans chaque rectorat, composée de « plusieurs personnes dédiées et formées à 100 % sur la question du harcèlement », qui se déplaceront au sein des établissements scolaires afin de tenter de dénouer des cas précis. Il s’agirait en réalité d’un simple renfort des équipes, puisque des référents harcèlement existaient déjà.

 - La mise en place de « cours d’empathie » mais pour l’instant réservés au premier degré, à partir de la rentrée de janvier 2024. Inspirés du modèle danois, ils ne concerneront pour l’instant qu’une école pilote par département. Leur efficacité reste par ailleurs à démontrer.

 - La mise en place d’un « questionnaire » soumis chaque année aux élèves pour recueillir leur parole… qui risque de faire doublon avec les questionnaires que beaucoup de professeurs principaux recueillent déjà à l’approche des conseils de classe. Et qui se chargera d’analyser les réponses à ces nouveaux questionnaires ? L’unique référent pHARe de l’établissement ? 

 - La fusion de deux numéros d’aide (le 3020 pour les familles et victimes, et le 3018 spécifiquement sur le cyberharcèlement) en un numéro désormais unique : le 3018, et l’augmentation des subventions à l’association qui gère la plateforme.

 - La possibilité pour la justice de confisquer le téléphone qui a servi au cyberharcèlement, voire d’interdire pour un temps l’accès aux réseaux sociaux pour le jeune harceleur. Mais il faut pour cela aller jusqu’à la condamnation. On peut par ailleurs douter de l’applicabilité ainsi que de la portée dissuasive de la mesure.

Ces mesures s’ajoutent au décret n°2023-782 du 16 août 2023 qui permet, depuis la rentrée : dans le premier degré, de changer d’établissement un élève harceleur en cas de harcèlement « grave » ; dans le second degré, d’étendre la procédure disciplinaire aux cas dans lesquels des élèves commettent des actes de harcèlement à l’encontre d’élèves situés dans un autre établissement.

Le SNCL se réjouit de certaines de ces mesures qui vont assurément dans le bon sens. Toutefois, il est permis de douter qu’elles aient vraiment l’effet d’un « électrochoc » et qu’elles suffisent à réduire significativement le nombre de cas de harcèlement, ainsi que leurs conséquences dramatiques en augmentation constante sur la dernière décennie.

Le SNCL rappelle qu’une véritable politique de lutte contre le harcèlement ne pourra pas advenir sans renforcer les moyens financiers et humains alloués au fonctionnement du programme pHARe, et sans se préoccuper des problèmes de fond suivants :

 - Le manque d’infirmier(e)s, d’assistant(e)s de service social, de conseillers d’orientation-psychologues scolaires, très souvent partagés entre plusieurs collèges,

 - Le manque d’assistants d’éducation, recrutés en nombre insuffisant,

 - Les classes surchargées, qui ne permettent pas un suivi individuel attentif de chaque élève.

En attendant, nous conseillons aux collègues de notifier toute suspicion de harcèlement au chef d’établissement, au CPE, au référent pHARe et au professeur principal, de préférence par la messagerie académique ou via le document de signalement en vigueur dans votre établissement, et d’en conserver une trace.

 

Questionnaire d’auto-évaluation : comment ça marche ?

Le ministre Gabriel Attal a également confirmé le 25 octobre dernier la mise en place d’un questionnaire d’auto-évaluation auprès de tous les élèves du premier degré (à partir du CE2) et du second degré au retour des vacances de la Toussaint. Cette action s’appuie sur la journée du 9 novembre, journée nationale de lutte contre le harcèlement.

« Les élèves des écoles, collèges et lycées vont être invités à remplir une grille d’auto-évaluation anonyme visant à évaluer s’ils sont susceptibles d’être victimes de harcèlement » peut-on lire sur le site officiel du ministère. L’adhésion au programme pHARe devient également obligatoire pour les établissements.

Tous les élèves se verront proposer de remplir une grille d’auto-évaluation anonyme visant à évaluer s’ils sont susceptibles d’être victimes de harcèlement à l’école. Le questionnaire n’est toutefois pas obligatoire. Il se présentera sous une forme spécifiquement adaptée pour les élèves de collège.

Les résultats anonymisés seront étudiés à l’échelle de la division par le professeur principal de la classe. Ils donneront lieu également à des analyses globales au niveau de chaque collège. Enfin, un certain nombre d’établissements seront tirés au sort pour communiquer leurs résultats au ministère, à des fins de statistiques nationales. On ne sait toutefois pas l’ampleur du sondage réalisé, ni si le ministère communiquera ensuite tout ou partie des résultats : mais il y a fort à parier que ces derniers iront dans le sens des statistiques inquiétantes déjà connues et rappelées au début de cet article.

Le questionnaire se déroulera sur deux heures de temps scolaire banalisées entre le jeudi 9 novembre et le mercredi 15 novembre, l’organisation restant adaptable dans chaque établissement. Les professeurs principaux seront prioritairement (mais pas nécessairement) sollicités au collège. Son contenu se divise en quatre parties : « avant d'aller à l'école », « à l'école », « sur internet ou sur les écrans » et « Comment te sens-tu ? » (44 questions en tout pour les niveaux de collège). La nature des questions est très variée : ont-ils mal au ventre ou à la tête avant d’aller à l’école ? Ont-ils déjà menti pour ne pas aller à l’école ? Ont-ils déjà été bousculés, insultés, désignés par un surnom humiliant ? Ont-ils déjà vu circuler sur les réseaux des images d’eux ou des propos les concernant contre leur volonté ? L’ensemble des questionnaires visent à dresser un bilan de leur expérience passée et présente face aux situations de harcèlement.

Difficultés professionnelles liées au harcèlement, le SNCL vous soutient

Les professeurs se voient attribuer une responsabilité grandissante dans la détection, la dénonciation et la remédiation aux faits de harcèlement, ce qui n’est jamais simple. Si vous avez un doute sur la procédure à suivre ou êtes confrontés à la moindre difficulté, en plus des dispositifs officiels gouvernementaux, n’hésitez pas à contacter votre section académique SNCL qui saura vous guider et vous épauler.