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Vers la destruction de la fonction publique ?

Vers la destruction de la fonction publique ? - SNCL

Le ministre de la transformation et de la Fonction publique, Stanislas Guerini, a ouvert le mois dernier une nouvelle concertation pour réformer la Fonction publique et avec elle l'emploi à vie des fonctionnaires... 

Malgré la tempête politique actuelle, certains ministres continuent d'avancer leurs pions et tentent de faire passer in extremis quelques décrets particulièrement dangereux.

C'est le cas de Stanislas Guérini, qui souhaiterait « lever le tabou du licenciement ». Bel euphémisme !

Le SNCL ne l’entend pas de cette oreille. Dès le début du cycle de concertation autour du projet de loi pour l'efficacité dans la Fonction publique, le ministre a détaillé aux syndicats les grands principes du texte, qui pourrait encore être présenté en Conseil des ministres avant les prochaines élections législatives.

Il s’agit, selon le ministre, de lutter contre « la hausse de l’absentéisme » ou de favoriser l’application « scrupuleuse » du temps de travail légal dans tous les services...

Lorsqu’il parle de rémunération, il s’agit de récompenser les plus méritants - éternel serpent de mer - en laissant une plus large place aux primes individuelles.

Pour le SNCL, le gros souci avec cette façon de considérer les carrières des agents se résume en une question : qui va avoir le pouvoir décisionnel de nommer les « méritants » ? Cela ouvre grand la porte du favoritisme et du fait du prince.

Au SNCL, nous en sommes bien conscients. Mais le ministre ne s’arrête pas là. Stanislas Guerini va même jusqu’à remettre en cause le sacro-saint principe de l’emploi à vie. Sur ce sujet, le ministre avance à pas de loup. S'il jure qu’il ne veut pas remettre en cause le statut de la Fonction publique, il affirme toutefois vouloir le faire « évoluer » et le « moderniser ». En Novlangue gouvernementale, cela signifie faire régresser les droits des personnels. Nous ne sommes plus dupes.

Il existe pourtant aujourd’hui dans les textes une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle mais elle serait quasi inapplicable, selon le ministère. C’est-à-dire qu’elle ne permettrait pas de licencier suffisamment d’agents et que les procédures – notamment de passage en commission paritaire et défense syndicale – ne permettent pas assez de « souplesse ».

Le SNCL comprend bien que ce type d’annonce est un ballon d’essai pour tester les personnels et l’opinion publique. Cela permet de mettre ces idées en tête et de commencer à les placer dans un débat. Mais le principe de contractualisation dans la Fonction publique existe déjà et a déjà touché la sphère des hauts fonctionnaires.

Ainsi les diplomates en ont déjà été les victimes. Un décret publié au Journal officiel du 17 avril 2022 a mis en extinction progressive les corps d'encadrement supérieur du ministère des affaires étrangères. Selon le gouvernement, l'objectif était d'ouvrir les postes d'ambassadeurs et de consuls généraux à "une plus grande diversité de profils".

Le SNCL avait déjà alerté sur ce point. Pour nous, il s’agissait de mettre au rebus les statuts et procédures de recrutement et d’affectation afin de faciliter la nomination des amis et connaissances et surtout l’éviction de ceux n’obéissant pas servilement et ne gardant pas « le doigt sur la couture ».

Or, rien ne dit que le successeur de M. Guérini, quel qu'il soit, après les élections à venir, ne s'engoufrera pas dans la même direction... Car c'est une volonté sous-jacente présente au sein des cabinets, bien au-delà de la couleur politique gouvernementale.

La même méthode de faire a par exemple été utilisée pour gérer les Inspecteurs Généraux de l’Éducation Nationale. Dans le cadre de la réforme de l’encadrement supérieur de la Fonction publique de l’État, les corps d’inspection générale ou de contrôle sont placés en voie d’extinction depuis le 1er janvier 2023.

Sont concernés plusieurs corps de hauts fonctionnaires (préfets, sous-préfets mais aussi l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR)... Les emplois au sein de ces services deviennent des emplois fonctionnels pour lesquels le recrutement se fait uniquement par nomination sur statut d’emploi selon les modalités prévues par le décret n° 2022-335 du 9 mars 2022 et pour un temps déterminé, en général un contrat de 5 ans, renouvelable une fois, mais surtout révocable à tout moment si le ministère considère que le collègue ne rentre plus dans ses plans ou ne sert plus ses intérêts. On est bien loin du fonctionnaire impartial qui pouvait œuvrer pour le bien public sans craindre les foudres de sa hiérarchie ! Un pouvoir discrétionnaire qu'on imagine mal être boudé par le futur gouvernement, qu'il soit de gauche ou de droite !

 

Irrévocabilité menacée

C’est bien cela qui, si le projet initié par M. Guerini se concrétise, risque de devenir le quotidien des agents du ministère de l’Éducation nationale... Mais pourquoi est-il important de conserver un statut protecteur ?

Tout d’abord, il existe de nombreux pays européens où un emploi dans la Fonction publique est « garanti à vie », cela n’est pas une spécificité française. Dans la plupart des cas, cela est dû au principe de continuité de l’état et à la neutralité des administrations. C’est à dire que quel que soit le gouvernement en place, les fonctionnaires ne peuvent pas être renvoyés par exemple sous prétexte qu’ils ne seraient pas du même bord politique que le gouvernement.

En France, ce principe est appliqué à partir de 1946 au sortir de la guerre durant laquelle le régime de Vichy avait révoqué de nombreux fonctionnaires au seul motif qu’ils étaient juifs, socialistes, communistes, francs-maçons, libres penseurs, etc.

Avec l'abandon de ce principe, le futur gouvernement retrouverait donc un contrôle sur son administration semblable à celui qui a sévi pendant la collaboration...

La loi du 19 octobre 1946 relative au statut général des fonctionnaires a instauré le principe de non révocabilité des fonctionnaires titularisés. Seules des fautes graves autorisent l’administration à révoquer un fonctionnaire au terme d’une procédure très encadrée.

De plus, le fonctionnaire accède à ce statut en remplissant des conditions spécifiques parfois très sévères : conditions de diplômes, concours sélectifs, examen de titularisation… et il doit aussi être de nationalité française, jouir de ses droits civiques, remplir des conditions d’aptitude physique… De plus, le fonctionnaire ne peut exercer, à titre professionnel, aucune activité lucrative de quelque nature que ce soit (A. L1231 du code général de la fonction publique). Enfin, le fonctionnaire est affecté là où l’on a besoin de lui, et non où il souhaite exercer.

Le SNCL combat les politiques qui réduisent le champ de l’action publique ou intègrent au cœur même des services publics les logiques du marché, orchestrant la dégradation du service rendu aux populations.

Le SNCL affirme que les services publics sont des leviers permettant d’assurer à tous un égal accès aux droits fondamentaux et permettant de faire reculer toutes les inégalités et les discriminations.

 

Gouvernement d’opinion

Pour faire accepter ses idées nocives, le ministère joue la carte de la division. Les enseignants-fonctionnaires en ont l’habitude. Mal poser les problèmes, exciter les jalousies et opposer les Français entre eux semble être la stratégie utilisée, sous prétexte de « relancer le débat ». Un sondage Odoxa – Backbone Consulting pour Le Figaro s’est penché sur la perception de la Fonction publique auprès du grand public.

Il a notamment interrogé les Français sur l’idée de rendre possible le licenciement des salariés du secteur public : 7 sur 10 se disent favorables. Voici qui laisse à imaginer ce que pourraient être les conséquences d’une destruction des statuts.

Les enseignants connaissent dès à présent un aperçu de ce que cette éradication des statuts présenterait. Nous avons vu avec l’attribution du baccalauréat en partie par un contrôle continu une large intensification de la pression des parents pour orienter la notation des enseignants. C’est déjà difficile à supporter. Mais notre statut est un bouclier qui nous aide à résister. Qu’en sera-t-il quand les enseignants auront tous un statut contractuel – c’est-à-dire sous contrat – soumis au bon vouloir de notre hiérarchie ?

Un autre exemple qui montre que notre gouvernement n’hésite pas à s’asseoir sur les statuts et procédures : une enquête de Mediapart a récemment révélé que le recrutement d'une fonctionnaire, validé par l'administration dans toutes ses étapes, a ensuite été annulé par Aurore Bergé, la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes. La personne en question est une ancienne militante du parti de Benoît Hamon, Génération.s. et c’est pour cette raison que sa candidature a été invalidée.

Le SNCL rappelle que toute discrimination pour motif religieux, syndical, ethnique ou politique est strictement interdite. La membre du gouvernement explique son choix unilatéral par le fait que « les postes dans l'administration sont soumis à un strict devoir de neutralité » (sic).

 

Autre sujet à « rénovation »

Les catégories historiques de la Fonction publique (A, B et C, recrutement en fonction du niveau de qualification) sont aussi sur la sellette, car jugées par le gouvernement « en décalage croissant » avec la réalité des métiers du secteur public. Nous vous ferons part de nos analyses dans un prochain article.

Les statuts des fonctionnaires permettent de soustraire, parce qu’ils servent l’intérêt général, certaines organisations de la société à la sphère marchande et à la recherche du profit immédiat. Ils permettent la mise en œuvre effective des droits pour tous dans la promotion du bien commun. Les services publics et la Fonction publique sont des atouts précieux.

Le SNCL est très attaché à ces valeurs. Nos statuts nous préservent de la soumission aux intérêts particuliers, en garantissant des droits individuels et collectifs pour les citoyens grâce à une fonction publique neutre et impartiale.

Au SNCL, nous ne faisons pas de politique : nous militons pour une Fonction publique sous statut, c’est-à-dire à la disposition de la Nation.

Ce sont des valeurs sur lesquelles nous ne transigerons pas.